Rouge comme le bonheur, le vin séduit l’Asie

Comment dit-on Beaujolais en mandarin ? Et bien cela dépend de l’endroit où figure le mot : étiquette, dépliant, publicité… Comme toute chose en Chine, celle-ci dépend de son contexte, de la relation à l’environnement. Les Chinois vont aussi réagir à l’esthétique du mot, tant visuelle que phonétique. La beauté est primordiale. Pendant six mois un groupe de travail, composés d’expert chinois, grammairiens, oenologues, traducteurs ont ainsi planché sur la traduction des douze appellations, à la demande des producteurs de Beaujolais pour fixer les traductions devenues officielles. D’autant que le mot “vin” n’existe pas en lui-même en chinois. Cette langue désigne tous les alcools par le même terme, “jiu”, en l’associant au mot qui désigne sa provenance. Alcool de raisin, de riz, de céréales, de prunes… En Chine, le vin cultivé depuis
des millénaires, était utilisé pour des libations aux ancêtres, ou bien, associé avec diverses plantes qu’on y laissait mariner, pour ses vertus médicinales. Pour leur consommation, les Chinois ont toujours privilégié des alcools forts et clairs. La volonté du gouvernement de réguler cette pratique, il y a une vingtaine d’années, a favorisé l’entrée du vin dans l’empire du Milieu où
il a d’abord été signe d’un statut social. Depuis les Chinois se sont pris au jeu des saveurs surtout celles du vin rouge, couleur signe de bonheur. Également séduite par le “french paradox”
selon lequel le vin rouge est bon pour la santé — l’harmonie entre le corps et l’ingestion des aliments est ici primordiale — la Chine offre maintenant un marché estimé à plus de 100 millions de consommateurs potentiels. Pour les producteurs, l’un des enjeux est d’introduire les Chinois
à l’aspect culturel du vin. Il est aussi d’inventer les accords avec les plats, dans une cuisine qui est un système, un tout, où les ingrédients sont cuits en même temps. Cette approche du goût,
différente de l’européenne, se complexifie encore par la diversité des gastronomies qui existe selon les régions. La Thaïlande, pays qui entre depuis peu dans le monde du vin, a résolu la question en imaginant de concocter ses propres crus, légers et secs. L’un d’eux, encore expérimental, se cultive sur des vignobles flottants près de Bangkok. Sensible maintenant à
cette boisson, la bourgeoisie thaïlandaise accueille aussi les vins de pays qui s’associent avec bonheur à leur cuisine très épicée et parfumée. Au Japon, c’est par les mangas que l’on s’initie à la culture du vin, de plus en plus apprécié par la jeunesse branchée. Romanesques
et ludiques, ces petites bandes dessinées sont aussi pédagogiques et très bien documentées. Écrits par des passionnés du vin, deux des mangas les plus connus sur ce sujet, “Le sommelier” et “Les gouttes de dieu” ont contribué à la notoriété du vin rouge dans les bars à vins de l’archipel. Dans le premier, paru il y a une dizaine d’années, le héros, un jeune sommelier japonais, séduisant et surdoué, parcourt les vignobles européens à la recherche d’un vin mythique adoré par sa mère, en résolvant au passage meurtres et complots. Les jeunes femmes n’ont pas résisté et sont devenues les afficionada des vins européens décrits dans la série, parmi lesquels les crus français se sont taillés un joli succès. La consommation de vin rouge est même considérée comme un signe de reconnaissance de l’émancipation féminine dans un pays où les femmes créent maintenant la tendance. C’est aussi à une quête que convie “Les gouttes de dieu”. Celle d’un jeune homme qui, pour toucher l’héritage de son père, doit résoudre une série d’énigmes et trouver les meilleurs vins du monde. Depuis qu’ils sont traduits en coréen, les neufs volumes des “Gouttes de dieu” sont devenus un petit phénomène en Corée du Sud. Les jeunes urbains fréquentent maintenant les bars à vin à la recherche Du vignoble évoqué. Les Bourgognes font partie des grands gagnants de cette saga en mangas et ont vu depuis leurs ventes s’amplifier. Le vin pour les Coréens serait initiatique. Alors, comme leur cuisine qui permet la synchronicité de différents goûts, peut-être participe-il de la même motivation, réunir le corps et l’univers, ? Si les vins français sont longtemps parus “exotiques” aux palais asiatiques, c’est maintenant par leur complexité qu’ils peuvent séduire ces nouveaux consommateurs adeptes des produits occidentaux.


Cécile Mozziconacci, n°5 mai 2007

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Pour ces chroniques, l’idée était de partir d’un détail de la vie quotidienne dans une autre culture, d’un objet, d’un comportement qui parfois nous étonne : un bouquet de fleurs, la manière de porter ses chaussettes, des boulettes de viande, une manière de faire la sieste deviennent alors des révélateurs de ce qui modèle un paysage mental, une approche du monde…