Des poètes à la Maison Blanche



On pourra peut-être entendre bientôt des poètes à la Maison Blanche. C’est ce que souhaite le nouveau président des Etats-Unis, Barack Obama, qui veut aussi y inviter des scientifiques et des musiciens et faire de cette Maison celle du peuple. Si on ne précise pas encore les modalités d’une telle entreprise (qui pourra y participer, à quelle fréquence…) ni sa réelle possibilité, cette idée de faire du symbole du pouvoir fédéral un lieu ouvert au peuple semble renouer avec les mythes fondateurs de la nation américaine. Certes, avant Barack Obama, d’autres présidents américains invitaient régulièrement des artistes à Washington. Les soirées culturelles de J.F. Kennedy étaient célèbres, et même Richard Nixon, plus connu pour la guerre du Vietnam ou le scandale du Watergate, que pour son amour de la culture, en organisait tout autant.
La nouveauté, maintenant, est le souhait d’ouvrir à la population lectures de poésie et concerts, non de dîner simplement entre élites. Tout en rappelant l’importance de la culture, de l’art et de la science, « l’essence de ce qui fait la spécificité de l’Amérique ».
Une vision que l’on ne mesure pas toujours depuis l’Europe. Le bulldozer du divertissement à l’américaine, propulsé sur le monde entier, a recouvert et masqué la richesse et la diversité du monde culturel outre-Atlantique.
Un système culturel très complexe, « une immense coalition », selon l’expression de Frédéric Martel, ancien attaché culturel à l’ambassade de France aux Etats-Unis, qui en a disséqués les rouages dans son livre « De la culture en Amérique »*. Une coalition d’agences publiques, d’institutions à but non lucratif, d’entreprises privées, de riches philanthropes, d’universités et de communautés. Des « milliers d’acteurs tous autonomes » qui finissent par faire « politique ». Vu de France, où la vie culturelle et artistique s’est structurée, surtout depuis André Malraux, à travers la politique culturelle menée par un ministère qui lui est dédié, ce fonctionnement paraît étrange.
Tous, concurrents et partenaires, poursuivent leurs intérêts particuliers et, paradoxe total, donnent naissance à un intérêt général. Ils ont fini par produire une culture diversifiée où minorités et artistes d’avant-garde peuvent innover, où, des universités, naît la plus grande créativité, où se crée même une « action culturelle ».
Sans doute peut-on trouver une des origine de ce fonctionnement individuel et communautaire dans le grand mythe américain de la Frontière ?
La dernière frontière, celle des terres « vierges » des pionniers, qui recule peu à peu vers l’Ouest lointain, vers ces confins aux périls innombrables. Cette frontière symbolique, toujours mouvante, omniprésente dans cet espace démesuré et qu’il faut conquérir, modèle tout un paysage mental.
Elle fonde « l’aspect sauvage, l’indépendance et la démocratie dans l’imaginaire et le symbolisme américain », disait au 19e siècle l’historien Frédéric Jackson Turner, pour qui les terres « libres » de l’Ouest étaient la base de l’égalité sociale et économique, les petites communautés agricoles représentant « la quintessence de la démocratie ».
Une approche bien différente de celle qui s’est construite en Europe,
De là est née, en partie, la méfiance face à toute intervention d’une autorité centrale. Et cela même dans les milieux les plus démocrates, dans les communautés d’artistes, d’acteurs de la culture…
Ainsi, dans les années 70, les institutions culturelles, ont longtemps refusé les subventions publiques, qui leur étaient alors proposées par l’Agence fédérale consacrée à la culture (le NEA, le National Endowment for the Arts, qui, encore un paradoxe, a connu sous Nixon son âge d’or). Contraints par une grave crise financière, les musées et orchestres ont finalement accepté cette manne !
L’Agence fédérale contribue jusqu’aux années 80 à une véritable révolution culturelle dans le pays, devient l’objet de conflits en règle et n’existe plus que comme une fondation parmi d’autres. Les tentatives de politiques d’état ayant échoué, la culture, comme le reste, demeure l’affaire de chacun. Financée principalement par les individus, elle témoigne de la réticence à la bureaucratie, d’une volonté de préserver l’indépendance de l’art, d’un refus aussi qu’elle soit incarnée par une seule figure, par un porte-parole.
En moyenne, les dons à des organisations à but non lucratif représentent 250 milliards de dollars par an, dont 74% proviennent de personnes individuelles et 5,6% des entreprises. Sur cette somme près de 5,5 % reviennent à la culture (soit 13 milliards de dollars). Des chiffres qui montrent comment cohabitent individualisme et bien public, indépendance farouche et esprit de communauté.
Les 750 millions de dollars reçus par Barack Obama pour financer sa campagne électorale (dont une partie sous forme de quelques dollars) ne sont pas dans ce contexte une étrangeté de plus dans cette élection hors norme, mais plutôt la parfaite expression de « l’esprit de l’Amérique ».
Mais ce système culturel a connu ces dernières années bien des effets pervers, l’idéal initial s’est aussi perdu dans la réalité contemporaine. Comment celle-ci, dans le grand cyclone actuel, va-t-elle se transformer ? Le poète invité (c’est aussi une tradition) pour l’investiture de Barack Obama, le 20 janvier prochain, l’évoquera peut-être.

Cécile Mozziconacci, n° 16 janvier-février 2009

* Ed. Gallimard, 2006
Cette chronique est la première d’une série sur la culture aux Etats-Unis.
Affiche réalisée par Shepard Fairey pour la campagne présidentielle de Barak Obama

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Pour ces chroniques, l’idée était de partir d’un détail de la vie quotidienne dans une autre culture, d’un objet, d’un comportement qui parfois nous étonne : un bouquet de fleurs, la manière de porter ses chaussettes, des boulettes de viande, une manière de faire la sieste deviennent alors des révélateurs de ce qui modèle un paysage mental, une approche du monde…